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Moralisme Electoral

     

    Il y a un truc qui me soûle à peu près à chaque élection. C’est le fait qu’un certain (et conséquent) nombre de personnes se sentent obligés de faire la morale dès que vient le temps de choisir un nouveau monarque.

     

    L’abstentionnisme c’est le mal !

    En tête de cette morale, nous avons, la lutte contre l’abstentionnisme.

    Je n’en peux plus d’entendre jusqu’à plus soif en période électorale des « Mais surtout allez voter ! » « Il faut voter ! » « Si vous ne votez pas, la fin du monde arrivera. » « Ceux qui n’ont pas voté n’auront pas encore le droit d’avoir une quelconque opinion sur le résultat des élections. »

    Décidemment, la machine à laver le cerveau politico-médiatique a bien fonctionné.

    Ils oublient juste deux choses :

    1. Voter est un droit et non un devoir, chacun est libre ensuite de disposer de ce droit. Choisir de ne pas en faire usage n’ote nullement au citoyen concerné ses autres droits, y compris celui de protester contre le gouvernement mis en place.

    Élections, piège à… ?

    2. Ne pas voter est devenu dans l’inconscient collectif (inconscient dans le sens irréfléchi bien entendu) synonyme de je-m’en-foutisme, d’inconscience (justement), de manque de respect de ceux qui se sont battus pour qu’on puisse voter (le fait que le contexte et les circonstances ne soient pas comparables leur échappant totalement). Sauf que dans la pratique, c’est rarement le cas.

    La plupart (je n’ose dire « la grande majorité » mais je le pense) des abstentionnistes le sont de nos jours – non pas parce qu’ils oublient de voter ou qu’ils s’en fichent (j’en connais toutefois) – mais parce qu’ils font l’acte conscient et réfléchi de ne pas voter. Il existe tout un tas de raisons à cela, je ne vais pas les détailler à moins que vous y teniez vraiment. Je citerai, entre autres, ceux qui pensent que les élections ne sont plus de nos jours qu’une vaste mascarade, que le choix qui nous est proposé n’en est pas un et ne sert qu’à se rendre coupable de perpétuer un système en refusant de le remettre en cause ; en gros on peut toujours choisir en Coca et Pepsi, au final, on boit toujours du Cola. C’est, d’ailleurs, je pense la raison principale pour laquelle les autorités – politiques, médiatiques et autres – mettent tellement un point d’honneur à diaboliser l’abstention. Autoriser un débat et une discussion sains autour de celle-ci serait autoriser à remettre en cause et à réfléchir sur les rouages de la démocratie telle qu’elle nous est proposée (on pourrait dire « imposée ») et ça vous comprendrez qu’ils ne peuvent l’accepter.

    Je pourrai aussi citer ceux qui voudraient bien voter blanc, mais comme ce vote-là est considéré comme nul, ils préfèrent ne pas voter ; l’abstention ayant aujourd’hui plus de poids qu’un vote blanc dont personne ne parle et auquel personne même ne pense (quelque chose me dit que si le vote blanc était inclus dans les résultats finaux – et qu’il pourrait donc influer sur le résultat de l’élection – l’abstention serait beaucoup plus faible).

    Je suis sûr qu’il y a tout un tas d’autres raisons tout aussi valables les unes que les autres et auxquelles je n’ai pas pensées.

    3. Je disais « deux choses » au-dessus, mais il y en a une troisième. Ceux qui ne peuvent pas voter. Ils sont peu nombreux, mais contrairement à ce que peuvent penser certaines personnes aveuglées par une révérence un peu trop prononcée pour les institutions, cela existe. Je pense en particulier aux Français vivant à l’étranger. Ceux qui ne vivent pas à proximité d’un consulat n’ont bien souvent pas d’autre solution que celle de s’abstenir qu’ils le souhaitant ou non. Le Quai d’Orsay fait tout pour occulter ce fait, à grands coups de pubs mensongères sur toutes les facilités soit disant mises en place pour permettre à tous de voter, mais croyez-moi c’est du vent. Facilité de procuration ? Quand on vit à plusieurs centaines de kilomètres d’un consulat, bien souvent, tous les gens à qui l’on pourrait faire cette procuration n’ont pas plus de facilités que vous à se rendre sur place. Oh, et un détail : pour pouvoir établir la procuration, il faut se rendre… au consulat. Et le vote par correspondance ? Vous penseriez qu’au 21e siècle, la République Française aurait enfin mis en place une telle chose. La réponse est oui ! Mais pour les législatives seulement, pas pour les présidentielles (pourquoi ? aucune idée). Bref, pour les expatriés, bien souvent, l’abstention n’est pas un choix, mais une obligation. Je parle d’expérience. D’ailleurs, il fut suffit de regarder le taux d’abstention des Français à l’étranger qui dépasse presque toujours les 50%.

     

    Le vote utile, le vote par conviction, le vote pour un programme, pour un candidat, contre un candidate, pour des idées, etc.

    Si vous avez toutefois décidé de voter, et pensez donc échapper au moralisme ambiant, détrompez-vous, il vous attend au détour d’un bureau de vote !

    Peu importe le fait qu’il existe tout un tas de raisons pour voter, que chacun a les siennes, et qu’il n’en existe pas une qui soit la bonne dans l’absolu, vous trouverez toujours quelqu’un qui pensera que sa façon de voter à lui est meilleure que la vôtre.

    Et donc quel que soit votre méthode de vote, il y en aura pour vous dire avec le ton le plus péremptoire possible qu’on ne vote pas utile, mais pour ses convictions, que l’on ne vote pas contre un candidat, mais pour des idées, qu’on ne vote pas pour une personne, mais pour un programme. Je pourrais continuer comme ça pendant encore plusieurs lignes, mais ce petit coup de gueule commence à être un peu trop long déjà.

    Bref, la dernière fois que je me suis penché sur la chose, il me semblait qu’il n’y avait pas de mode d’emploi livré avec la carte d’électeur, contrairement à ce que pensent bon nombre de mes concitoyens.

    Tout ceci était pour vous dire, en gros, qu’il faut arrêter un peu avec ces velléités à devenir un père-la-morale à chaque fois qu’est venu le temps de mettre un bout de papier dans une urne. Il me semble – mais je peux me tromper – que nous sommes encore dans une démocratie, et qu’une des composantes de la chose, c’est de pouvoir faire ce que l’on veut dans un cadre donné (en général donné par la loi) et la façon dont on utilise ou pas son bulletin entre dans ce contexte.

    Mais bon, je ne vais quand même pas vous laisser sans faire un poil de morale moi aussi : ceux qui ont voté pour Sarkozy et pour Le Pen sont vraiment des salauds.

    À bon entendeur.

     

     

    7 commentaires sur “Moralisme Electoral”

    1. Je pense qu’on a déjà eu cette discussion il y a quelque années, mais peu importe, ça ne ferra jamais qu’un marronnier de plus.

      Je ne pense pas que critiquer l’abstention vise à empêcher toute discussion sur le bien fondé du système politique. Si l’abstention est critiquée, je pense que c’est avant tout parce qu’elle favorise la sur-représentation des partis extrêmistes.

      A priori, la plus part des abstentionnistes sont des personnes faiblement impliquées dans la politique qui voteraient par défaut pour des partis traditionnels (gauche, centre ou droite) si elles étaient vraiment amenées a devoir se prononcer.

      A l’inverse, les partisans des partis extremistes sont beaucoup plus motivés et prêts à braver le froid, le vent et la neige pour aller soutenir leur candidat.

      Donc, sur base de ce postulat, plus il y a d’abstention, plus la résultat des extrêmes est élevé (en proportion bien sur, pas en nombre absolut de voix) au détriment d’une représentation fidèle des opinions politiques de la population. Or tout le fonctionnement d’une démocratie représentative est précisément basé sur le principe que les élus représentent l’ensemble de leurs concitoyens. Donc si on refuse de voter on ne renonce pas seulement à un droit personnel mais on fausse ce principe fondamental en contribuant passivement à la mise en place d’une assemblée non représentative.

      Quant à savoir si le vote est un droit ou un devoir, comme tu le sais très bien, la Belgique à clairement choisi de le considérer comme un devoir avec menace de sanction pénale contre les abstentionnistes à la clés. La justification invoquée est celle exposé ci-dessus avec de surcroît la circonstance que tous les scrutins sont organisés à la proportionnelle (et non sur base d’un système majoritaire comme en France) ce qui accentue encore d’avantage la représentation des petits partis et donc l’impact de l’abstention sur leur sur représentation.

    2. Et concernant la question du vote blanc, le vote étant obligatoire en Belgique les bulletins de vote électroniques prévoient une case « vote blanc ». Mais je ne me suis jamais inquiété de savoir si elle était fréquemment utilisée.

      Pour continuer sur le thème du vote blanc, Maître Eolas a posté un article sur son blog dans lequel il livre diverses considérations sur le droit électoral, dont celle-ci : « Et en tant que scrutateur régulier, d’ailleurs, je voudrais dire une chose aux amateurs du vote blanc : vous faites chier. »

      L’article en question se trouve ici : https://www.maitre-eolas.fr/

      1. J’ai lu l’article en question. Toujours pas d’accord avec le monsieur.
        Enfin, si je ne peux pas ne pas être d’accord avec les faits qu’il exprime (puisque ce sont surtout des faits et que n’étant pas un conservateur, je crois encore en la réalité). Je ne suis pas d’accord avec les opinions qu’il exprime, ni avec le fait qu’il présente ceci comme quelque chose d’immuable et de statique. Tout peut être changé si on le souhaite.
        On pourrait différencier le vote blanc du vote nul par une simple loi: vote blanc = papier blanc, comptabilisé au même titre que les autres votes.
        Et quand il dit que ce vote est bel et bien comptabilisé, il joue sur les mots. Tout le monde ayant une fois regardé des résultats officiels dans sa vie le sait, ce que moi et d’autres souhaitent c’est qu’il soit comptabilisé parmi les suffrages « exprimés ».

        1. Moi non plus je ne suis pas forcément d’accord à 100 % avec tout ce qui est exposé dans cet article, mais je le trouvais bien rédigé, intéressant et pertinent par rapport au sujet de ton post initial, donc digne d’être lu.

          Concernant le fait de compter les votes blancs, certes on pourrait le faire (j’avoue que je ne sais plus si on le fait ou non en Belgique, il me semble que oui) mais qu’elle serait l’utilité réelle ? S’il y a 10 % de votes blancs aux législatives on ne va pas laisser vide un siège sur dix à l’Assemblée National pour les « représenter ». En tout état de cause les mandats disponibles seront répartis sur base des votes désignant effectivement une liste ou un candidat. Le vote blanc est tout aussi difficile à interpréter que l’abstention (dégoût de la politique ? indifférence ? indécision ?) donc même en annonçant le résultat on ne pourrait pas en tirer de véritables conclusions.

          1. Attention, Emlyn, depuis le début tous mes propos entre dans le contexte des élections françaises. Chaque élection dans chaque pays à des règles différentes, tu le sais (au point que dans un contexte où trois ou quatre candidats auraient des scores assez serrés, le vainqueur serait différent en utilisant les règles d’un pays à l’autre, l’exemple habituel étant que Jospin aurait été élu en 1995 avec le système américain, et probablement aussi en 2002 avec un système belge – là, j’ai un doute – la gauche dans son ensemble étant majoritaire).
            L’utilité de comptabiliser les votes blancs dans une élection proportionnelle est peut-être douteuse (je ne sais pas, je ne me suis jamais penché dessus), mais dans un système à deux tours de types français, il est très clair pour moi, si au deuxième tour, aucun des candidats ne remporte plus de 50%+1 des voix, c’est que la majorité du peuple ne veut ni de l’un ni de l’autre. Alors, certes cela engendrerait une situation difficile à gérer, mais cela souligne encore une fois de plus le fait que ce que l’on nous propose (le système actuel d’élections) n’est pas « le choix des Français » mais bien le résultat d’un système.

    3. On a déjà eu cette discussion, mais je crois qu’elle était en privé. 
      Je trouve que c’est bien s’avancer que de dire que l’abstention favorise les partis extrémistes. Je ne sais pas pour la Belgique, mais pour la France, rien n’est moins sûr. J’aurais même plutôt à penser le contraire de nos jours. La façon dont les gens votent a beaucoup évolué au cours des dernières décennies et j’ai l’impression que le vote de conviction a beaucoup diminué. Quelque part c’est normal, nous sommes loin des grands mouvements des années 60, même la Guerre Froide ne semble aujourd’hui plus qu’un lointain souvenir.
      Justement, je pense que les gens ont aujourd’hui beaucoup moins de convictions politiques qu’autrefois, et j’ai envie d’en dire autant de pas mal de candidats, ce qui peut pousser les déçus de ceci ou cela à ne plus avoir envie de voter. Tu dis que les abstentionnistes sont ceux qui ont peu ou pas de convictions, j’ai presque envie de dire le contraire. Ceux qui n’ont pas tant que ça de convictions votent parce « qu’il faut, » ceux qui sont déçus, dégoûtés, etc (donc ont des convictions) auront plus tendance à l’abstentionnisme à mes yeux, aux côtés de ceux qui s’en fichent, il est vrai.
      De plus, même si l’extrême droite a progressé en même temps que l’abstentionnisme, on ne peut pas en dire autant de l’extrême gauche qui n’existe plus vraiment en France. Besancenot et Laguiller de par leur charisme arrivaient encore à grappiller quelques voix, mais regarde ce qu’il en est aujourd’hui, l’extrême gauche est pour ainsi dire morte en France (et dans le reste de l’Occident). De même, l’abstentionnisme était relativement bas dimanche dernier, qu’en est-il du score du FN ?
      Finalement, en regardant les choses par le petit bout de la lorgnette (certes pas très objectif, mais assez parlant parfois), quand je regarde dans mon entourage, je dirais qu’il y a deux types d’abstentionnistes. Ceux éduqués, qui remettent les choses en question et qui ne votent pas pour des raisons de types « élections, pièges à con » ou qui remettent en cause le fonctionnement même du scrutin, et ceux-là voteraient certainement du côté de l’extrême gauche s’ils votaient. De l’autre côté, parmi les membres bas du front tendance fachos de ma famille, j’ai souvent entendu « soit je vote Le Pen, soit je vais à la pêche ce dimanche »
      Bref, je doute vraiment qu’il soit possible d’établir un véritable lien de cause à effet entre abstentionnisme et vote extrémiste. J’ai presqu’envie de dire que ça aussi entre dans la ligne du côté « tentative de culpabilisation des abstentionnistes. »
      Quant à dire que les élus sont censés représenter l’ensemble de la population, le mot-clé ici est « censé ». On peut aussi dire que de nos jours, les élus ne représentent que leurs partis, les lobbies qui les contrôlent, les gens de pouvoir qui les fréquentent et bien peu représentent vraiment le peuple. D’où la volonté de ne pas participer à cette mascarade de la part de certains abstentionnistes aussi.
      Pour le cas de la Belgique, ça me pose vraiment un problème moral cette histoire de vote obligatoire. En théorie, pourquoi pas (mais en théorie, pratiquement tout système est bien), mais en pratique, c’est un déni de liberté que je trouve assez fondamental. Différence culturelle dirons-nous.
      Par contre, je te rejoins sur la proportionnelle. Le système français à deux tours favorise les grands partis, favorise les grands egos aussi, et s’il me semble vaguement logique pour les présidentielles (bien que l’on peut se demander pourquoi deux tours et pas un ou trois) pour les législatives, je le trouve aberrant. Mais là, aussi, cela résulte de manœuvres politiques (pour empêcher justement les petits partis d’avoir des députés).
      J’ai pas lu l’article de Maître Éolas (pas le temps) mais vu ce que j’en ai lu sur Twitter, je pense pouvoir dire que je suis en désaccord avec lui (mais bon, il faudrait que je lise l’article pour me prononcer ainsi).

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